Pour être des activistes efficaces, résilients, à la pensée claire et qui restent motivés, nous avons besoin d’un endroit sûr où nous pouvons exprimer les nombreuses émotions qui surgissent en nous. Les cercles d’écoute peuvent représenter un tel endroit. Dans les cercles d’écoute, nous pouvons relâcher des émotions pénibles et guérir d’expériences passées et présentes qui sont à l’origine de ces émotions douloureuses. S’écouter les un∙e∙s les autres d’une façon structurée, même pour deux ou trois minutes chacun∙e, peut aussi éviter que des désaccords entre militant∙e∙s conduisent à la division. Les cercles d’écoute peuvent être des “cercles pop-up” organisés au cours d’une action pour encourager les militant∙e∙s et clarifier leur pensée. Ils peuvent aussi être réunis régulièrement pour renforcer et unifier les participant∙e∙s et le mouvement.
CRISE CLIMATIQUE ET ÉMOTIONS
La crise climatique a déjà causé beaucoup de graves dégâts. Elle a amené beaucoup de morts et l’extinction de nombreuses espèces. Elle provoque des incendies de forêt, des inondations, des sécheresses, une élévation du niveau des mers, des orages violents et des maladies. Elle a un impact croissant. Cela peut représenter une réalité accablante difficile à assumer.
En tant qu’activistes, nous avons choisi de faire face à la vérité concernant le climat et la justice climatique. Nous savons que les personnes de la classe ouvrière, les gens pauvres, les personnes autochtones, les personnes de la Majorité Globale et Autochtone1, les agriculteurs de subsistance et la totalité des Pays du Sud sont les plus affectés par le réchauffement planétaire, alors même qu’ils n’ont que très peu contribué au problème. Nous savons qu’au cours des siècles, ce sont les Pays du Nord qui se sont enrichis aux dépens des Pays du Sud et que des ressources font encore l’objet d’un transfert entre pays pauvres et pays riches. Ceci se produit à travers le paiement de la dette, l’exploitation de main d’oeuvre à bas coût, le pillage des richesses déguisé en commerce et plus encore. Les gouvernements ne montrent que peu de volonté politique pour résoudre l’urgence climatique et les injustices qui y sont liées.

Il est courant de ressentir tout un spectre d’émotions vis-à-vis de cette situation – culpabilité, rage, chagrin, profond découragement, terreur, désespoir, désarroi ou un mélange de tout cela et davantage. Celles et ceux qui luttent contre l’urgence climatique ressentent souvent encore plus que cela, à savoir de la désespérance, de l’épuisement physique, du ou qui semblent ignorantes ou indifférentes, de la frustration et de la confusion.
Faire face à l’urgence climatique peut également nous rappeler des événements douloureux qui nous ont affectés dans le passé. Des sentiments d’avoir été maltraités ou opprimés influent sur la façon dont nous ressentons et réagissons à l’urgence climatique. Ce “bagage émotionnel” se met en travers de la recherche d’une pensée et d’une action claires de notre part.
IGNORER NOS SENTIMENTS ET CONTINUER D’AVANCER
Ça ne marche pas toujours de mettre nos sentiments de côté en permanence. Quand nous ignorons nos profonds sentiments sur le long terme, il peut devenir difficile de rester motivés. Il se peut que nous devenions cyniques ou insensibles, apparemment sourds à toute nouvelle information alarmante. Il se peut que nous nous sentions ou paraissions supérieurs aux gens qui ignorent les dangers ou qui croient les mensonges des politiciens. Quand cela se produit, d’autres personnes remarquent nos sentiments de supériorité et peuvent rejeter notre discours en bloc. Parfois, nous nous jetons à corps perdu dans le militantisme sans aucune joie, ce qui ne constitue pas un modèle attractif. Nos sentiments non relâchés et refoulés peuvent saper notre espoir dans l’avenir. Ils peuvent compliquer les connections entre nous et contrarier le plaisir d’appartenir à un puissant mouvement pour le changement et la justice. Nous devons travailler en étant libres de toute insensibilisation. Nous devons être capables d’exprimer ce que nous ressentons et de réfléchir sans nous inquiéter du fait de choquer les gens qui nous écoutent. Nous avons la possibilité de le faire dans les cercles d’écoute.
L’IMPORTANCE DES CERCLES D’ÉCOUTE

Le simple fait de parler de nos sentiments peut les rendre moins pénibles. Souvent, dans les conversations ordinaires, nous attendons d’avoir un espace pour commencer à parler. Dans les cercles d’écoute, tout le monde prend la parole pendant la même durée, y compris la personne qui dirige le cercle. Cela signifie que nous pouvons nous détendre et écouter pleinement, en sachant que notre tour viendra.
Partager nos sentiments et écouter ceux des autres nous aide à réaliser que nous ne sommes pas seuls. Quand quelqu’un d’autre nous écoute avec intérêt sans imposer son propre ordre du jour, nous pouvons relâcher les sentiments liés à nos blessures. Alors, nous pouvons souvent remarquer que certains de nos points de vue étaient limités ou inexacts, et de nouvelles idées nous viennent. Si nous utilisons régulièrement le processus, nous prenons davantage conscience de nous-mêmes. Nous sommes davantage capables de nous connecter avec les autres et de les apprécier. Nous pouvons déterminer ce que nous voulons accomplir et agir plus efficacement. Nous récupérons davantage de courage et d’espoir.
Dans les cercles d’écoute, nous découvrons combien nous avons en commun avec les autres. Nous avons également l’occasion d’évoquer nos différentes origines, situations et points de vue. Ce que nous apprenons dans ce cadre-là peut nous aider à bâtir un mouvement uni et inclusif.
CE QUI SE PASSE DANS UN CERCLE D’ÉCOUTE
Les cercles d’écoute utilisent un processus simple. Ils sont d’autant plus efficaces s’ils sont dirigés par quelqu’un qui pense à faire en sorte que le processus fonctionne pour tout le monde. Dans les ateliers Sustaining All Life/United to End Racism (SAL/UER), nous proposons des outils destinés à ça.
La personne animant le cercle explique que pendant chaque tour de parole, la personne qui a la parole peut parler de ce qu’elle veut tandis que les autres l’écoutent sans interruption ni jugement. Les participants sont encouragés à laisser venir les mots, les pleurs, les rires, la transpiration, les tremblements et l’indignation. Le fait d’être écoutés avec une entière attention libère notre esprit pour qu’il puisse effectuer le travail interne qui est nécessaire. Après avoir relâché nos émotions pénibles, nous avons tendance à voir plus clairement la réalité, y compris la réalité nous concernant et celle concernant les autres.
Dans les ateliers SAL/UER, nous parlons de l’utilisation des cercles d’écoute, des règles qui leur assurent une sécurité, des accords de confidentialité, ainsi que la priorité des tours de paroles permettant aux personnes dont la voix a été censurée d’être entendues. Nous évoquons les difficultés qui peuvent surgir et la manière de les gérer. Les participants s’exercent à s’écouter mutuellement et partagent leur expérience d’écoute. L’atelier est suivi d’un cercle d’écoute où les participants ont la possibilité d’écouter et d’être écoutés lus longuement, et de guérir.
1 Les peuples autochtones et les peuples d’Afrique, d’Asie, des îles du Pacifique, des Caraïbes et d’Amérique Latine, ainsi que leurs descendants, représentent plus de quatre-vingts pour cent de la population mondiale. Ces peuples occupent également la majeure partie des terres émergées.
L’utilisation du terme “Majorité Globale et Autochtone (MGA)” pour ces peuples reconnaît leur statut de majorité dans le monde et interrompt la façon dont la culture dominante (étasunienne et européenne) leur attribue un statut de minorité.
Beaucoup de personnes de la Majorité Globale et Autochtone vivant dans des pays de culture dominante ont été assimilées à cette culture dominante – par la force, afin de survivre, en recherchant une meilleure vie pour elles-mêmes et leurs familles, ou en poursuivant l’inclusion économique, politique ou autre de leurs communautés. Dénommer ces personnes “Majorité Globale et Autochtone” contredit l’assimilation.
